Conférence: “Le juge pénal et le droit fiscal”

La fraude fiscale décortiquée à la fac d’Aix

Un public nombreux est venu assister à la conférence

Le juge pénal et le droit fiscal

La fraude fiscale est un délit qui nécessite que soit établi un élément intentionnel et un élément matériel. L’administration supporte la charge de la preuve.

Le juge pénal à une appréciation large de l’élément matériel de la fraude fiscale. L’article 1741 du Code général des impôts dresse une liste d’éléments constitutifs du délit.

Ainsi constitue matériellement un délit de fraude fiscale l’omission de déclaration dans les délais prescrits, la dissimulation d’une part des sommes sujettes à l’impôt, l’organisation de l’insolvabilité (proche de l’escroquerie en ce qu’elle résulte d’une véritable machination, d’une mise en scène), l’obstacle au recouvrement de l’impôt par tout autre manœuvre (opérations fictives, manipulations comptables, domiciliation fictive à l’étranger) ou l’agissant de toute autre manière frauduleuse. L’expression « toute autre manière frauduleuse », relativement floue, est révélatrice de la volonté de réprimer très largement toutes les fraudes possibles. Ce que le juge pénal n’hésite pas à faire en adoptant une interprétation large du critère matériel applicable au délit de fraude fiscale.

L’appréhension de l’élément moral de la fraude fiscale est quant à elle plus complexe.

L’article 1741, en imposant que la soustraction de l’impôt ait été réalisée de manière frauduleuse fait allusion à un dol général. L’élément intentionnel résulte de « la conscience de l’inexactitude des déclarations faites à l’Administration » (Cass. crim., 16 janv. 2013, n° 12- 81.496 : JurisData n° 2013-001632 , V. S. Detraz, Un an de droit pénal fiscal et douanier (septembre 2012 – août 2013) : Dr. pén. 2013, chron. 9.). L’appréciation de l’élément moral s’avère réduite dans la mesure où il se déduit le plus souvent de la matérialité des faits constatés. De plus il n’existe pas de dol général.

Juge pénal et appréciation du droit fiscal :

Le juge pénal en amont : La loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance financière a créé un procureur de la République financier. Il bénéficie d’une compétence exclusive en matière d’infractions boursières, et d’une compétence concurrente avec les parquets de droit commun et les parquets des juridictions interrégionales spécialisés pour les délits de fraude fiscale, d’escroquerie à la TVA, de violation aux devoirs de probité. Le procureur de la République financier est entouré de douze magistrats, assistés de fonctionnaires (police, DGFiP) dont un greffier en chef pour l’épauler.

Le particularisme dans l’exercice même de l’action publique :

L’administration est maître des dossiers qu’elle décide d’envoyer devant le juge pénal. Il s’agit du « verrou de Berçy » parfois critiqué.

L’article L. 228 du Livre des procédures fiscales prévoit, sauf exception, un contrôle en amont de la Commission des infractions fiscales (CIF) avant toute plainte de l’administration fiscale. Cette commission rend un avis qui n’est pas détachable de l’action publique et qui a pour particularité de lier le ministre.

La chambre criminelle de la Cour de Cassation a transmis au Conseil constitutionnel, le 19 mai 2016, une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article L. 228 précité. Par une décision du 22 juillet 2016, le Conseil Constitutionnel a jugé que les dispositions de l’article L. 228 du LPF, telles qu’interprétées par la Cour de cassation, ne portent pas une atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, même si la procédure suivie devant la CIF n’est pas contradictoire.

En l’absence d’un avis favorable à l’engagement des poursuites de la CIF l’administration fiscale ne peut pas à porter plainte pour fraude fiscale.

Le délit de fraude fiscale n’est pas poursuivi d’office par le ministère public. Il suppose une plainte préalable de l’administration fiscale. Le non respect de cette formalité substantielle est d’ordre public et doit donc être relevé d’office. Conformément à l’article L. 229 du LPF, les plaintes sont déposées par le service chargé de l’assiette ou du recouvrement de l’impôt. L’administration n’est pas tenue de mettre le contribuable en demeure de régulariser sa situation préalablement au dépôt de sa plainte. Le juge pénal lors du prononcé de la peine :

L’indépendance des procédures fiscales et pénales :

L’indépendance des procédures fiscales et pénales est un principe dégagé par la jurisprudence. Il est fondé sur la différence de nature et d’objet de ces deux procédures. Ce principe signifie d’une part que le juge pénal n’est pas dépendant du juge fiscal pour se prononcer sur les poursuites dont il est saisi. La chambre criminelle de la Cour de Cassation a, dans un arrêt du 5 juillet 1976, jugé qu’il ne peut se limiter à fonder sa décision sur le contenu de celle rendue par le juge fiscal qui est le juge administratif. Le juge pénal considère d’autre part que la décision du juge de l’impôt n’a pas l’autorité de la chose jugée à l’égard du juge répressif. Le juge de l’impôt quant à lui accepte de prendre en compte la chose jugée au pénal.

Ce principe a en outre pour conséquence, qu’il n’est pas nécessaire que la citation en justice mentionne, pour des faits de fraude fiscale, le montant des droits éludés. (Cass. crim., 20 mai 2015, n° 14-80.410 : JurisData n° 2015-011802 ; DF 2015, chronique 504, R. Salomon.)

Le renforcement des sanctions pénales pour fraude fiscale :

La loi du 6 décembre 2013 a renforcé les sanctions pénales fiscales. Les circonstances aggravantes ont été modifiées. Elles s’appliquent à tout auteur ou complice d’une fraude fiscale commise en bande organisée ou réalisée au moyen de comptes ouverts ou de contrats souscrits à l’étranger soit d’un acte fictif ou artificiel, soit d’une interposition d’une entité fictive ou artificielle, soit de domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l’étranger ou soit d’un faux. A cela s’ajoute la possibilité de prononcer la « solidarité ». Consacrée à l’article 1745 du CGI, elle permet, à la demande de l’administration fiscale, à tous ceux qui font l’objet d’une condamnation définitive pour fraude fiscale d’être solidairement tenus, avec le redevable de l’impôt fraudé, au paiement de cet impôt et des pénalités y afférentes.

Cumul des sanctions fiscales et pénales et principe non bis in idem :

Par deux décisions du 24 juin 2016 le Conseil Constitutionnel a validé le cumul des pénalités fiscales à caractère répressif et des sanctions pénales de la fraude fiscale. Il a toutefois assorti cette possibilité de trois réserves.

La première consiste exclure toute condamnation pénale à l’encontre d’un contribuable, déchargé de l’impôt par une décision définitive du juge de l’impôt. Cependant dès lors que la majorité des décisions de décharge intervient pour des motifs de forme, cette réserve ne posera pas de grandes difficultés au juge pénal.

La seconde réserve concerne les sanctions pénales, prévues aux articles 1741 et suivants du CGI. Le Conseil constitutionnel considère qu’elles ne peuvent s’appliquer qu’aux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l’impôt. Cette réserve pose plus d’incertitude juridique. Que doit-on entendre par « gravité ». Il en résulte un flou juridique difficilement conciliable avec le principe de légalité.

La troisième réserve fondée sur le principe de proportionnalité des peines impose que le total des sanctions pénales et administratives prononcées n’excède pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues.

Les débats avec l’assistance, et notamment les avocats, ont montré que beaucoup d’interrogations et d’incertitudes pesaient sur la procédure qui vise à faire sanctionner pénalement les fraudes les plus graves qui sont généralement les plus complexes.

Lolita Girondeau
Doctorante contractuelle
Centre d’études fiscales et financières